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L’élaboration de politiques publiques appropriées s’appuie sur l’expérience des communautés sur lesquelles elles ont une incidence. Cependant, dans l’Arctique comme ailleurs, les décisions politiques sont souvent prises en dehors de la région. Les leaders émergents qui ont participé à la deuxième édition du programmathon sur les politiques de l’Arctique à Reykjavík l’an dernier ont décidé d’aider à changer cette situation. Les programmathons sur les politiques rassemblent divers groupes de personnes qui ont à cœur de trouver des solutions à des problèmes politiques urgents. Les participants discutent, interrogent, remettent en question et lancent des idées, et élaborent des recommandations politiques créatives à l’intention d’un vaste public. Il s’agit d’un modèle différent d’élaboration de politiques, qui s’appuie sur la valeur des expériences vécues, en l’occurrence les expériences des jeunes vivant dans l’Arctique. Après plusieurs programmathons sur les politiques nordiques organisés avec des parties prenantes dans tout le Nord canadien, la Gordon Foundation a adapté le modèle à un cadre circumpolaire lors du premier programmathon sur les politiques de l’Arctique qui s’est tenu en 2022.

Suite au succès de la première édition internationale, nous avons organisé, avec nos partenaires du Forum des maires de l’Arctique et d’Affaires mondiales Canada, le deuxième programmathon sur les politiques de l’Arctique qui a eu lieu juste avant l’Assemblée du Cercle arctique en octobre 2023. Seize leaders émergents issus des communautés autochtones et locales de l’Arctique en Finlande, en Norvège, en Sápmi, en Islande, au Groenland, au Canada et en Alaska nous ont rejoints à Reykjavík pour deux jours intenses d’élaboration de politiques, au terme desquels nombre d’entre eux sont restés pour participer à l’Assemblée.

En accueillant des leaders émergents lors du programmathon sur les politiques, les états et les parties prenantes de l’Arctique ont ainsi l’occasion d’impliquer la prochaine génération, de faire entendre de nouveaux points de vue et d’encourager les leaders actuels à écouter avec un esprit ouvert les recommandations politiques d’avant-garde sur un enjeu crucial pour l’Arctique. Lors du programmathon sur les politiques, les participants ont abordé le sujet de l’Avenir de l’Arctique : Garder les leaders de la prochaine génération dans l’Arctique. Ce choix s’explique par le fait que la prochaine génération a un rôle essentiel à jouer dans la résilience à long terme de la communauté. Cependant, dans de nombreuses communautés et pays de l’Arctique, les jeunes quittent la région pour diverses raisons sociales, économiques et environnementales.

Les participants ont d’abord décidé des trois enjeux sur lesquels ils allaient concentrer leurs recommandations. Comme il s’agit de l’un de nos sujets les plus vastes par rapport aux programmathons sur les politiques précédents (tels que la souveraineté alimentaire, le logement ou l’alimentation traditionnelle), il n’a pas été facile de restreindre le thème, car de nombreuses possibilités pouvaient être explorées. En plénière, chacun a fait part de ce qui le motivait à vivre dans l’Arctique. Cette discussion constructive a donné le ton au reste de l’événement, en permettant aux participants d’ancrer les recommandations dans leur propre désir de rester ou de s’installer dans l’Arctique. Une fois les thèmes choisis – culture et communauté, développement durable et bien-être holistique -, les participants ont commencé à réfléchir et à élaborer des recommandations dans leurs groupes thématiques.

Le deuxième jour, les participants ont rencontré Robert Sinclair – haut représentant pour l’Arctique et directeur général, Affaires arctiques, de l’Eurasie et de l’Europe (gouvernement du Canada) pour une session de déjeuner-apprentissage. M. Sinclair a donné des conseils sur le processus visant à éclairer les politiques et a répondu aux questions des participants qui s’apprêtent à finaliser leurs recommandations politiques.

Dans les dernières heures du programmathon sur les politiques, les participants sont parvenus à un consensus sur leur déclaration d’ouverture et leurs recommandations dans le cadre des trois thèmes, puis ont minutieusement affiné et finalisé le document afin de l’imprimer avant la fin de la journée. Ce délai serré était dû au fait que deux participants au programmathon devaient présenter ce document politique lors d’une table ronde à l’Assemblée du Cercle arctique le lendemain matin. Quiconque connaît bien le déroulement habituel du processus d’élaboration des politiques sait qu’il s’agit là d’une véritable prouesse ! De nombreux participants à notre table ronde et d’autres personnes qui ont pris une copie du livret de recommandations politiques ont été stupéfaits par la rapidité de ce travail.

Brynjar Andersen Saus, Tromsø, Norvège

Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre lorsque je suis arrivé au programmathon à Reykjavik. J’avais déjà participé à des séminaires et à des ateliers, mais jamais à un événement où il s’agissait de produire en deux jours un document cohérent de recommandations politiques sans aucune plate-forme politique commune. Pour être honnête, j’étais sceptique quant à notre capacité à créer quelque chose de valable. Heureusement, je me trompais lourdement.

Dès le début, il était évident que le groupe de jeunes rassemblés au programmathon était très compétent et motivé. J’ai été époustouflé par les idées et la compréhension que mes collègues participants ont apportées à la table et le plus grand défi a été de choisir parmi les idées brillantes présentées au cours des discussions. Nous nous sommes concentrés sur trois thèmes principaux pour répondre aux questions suivantes : pourquoi voulons-nous vivre dans l’Arctique, comment pouvons-nous attirer davantage de personnes et d’expertise dans l’Arctique, et comment pouvons-nous développer l’Arctique tout en respectant les valeurs sociales, culturelles et autochtones existantes ?

Tout au long de ce travail, l’un de mes principaux objectifs a été de déterminer comment l’Arctique peut contribuer à résoudre les problèmes mondiaux de manière à ce que les communautés existantes de l’Arctique en tirent profit. Je pense que l’Arctique peut jouer un rôle de premier plan dans la résolution de problèmes tels que le changement climatique grâce à la recherche, à l’innovation et au développement technologique. Le climat et les conditions uniques de la région représentent des données extrêmement précieuses et la possibilité de tester de nouvelles technologies dans certaines des conditions les plus difficiles de la planète afin d’en garantir la robustesse.

Au final, j’ai été stupéfait par le travail accompli par mes collègues participants et les organisateurs de l’événement. Le programmathon a abouti à une série de recommandations politiques que je considère comme des lignes directrices importantes pour le développement futur de l’Arctique, qui sont à la fois réalisables et viables. L’expérience a été très instructive et m’a insufflé une motivation et un dévouement renouvelés pour travailler sur les politiques de l’Arctique et construire un meilleur avenir pour les jeunes de l’Arctique.

Sigurþór Maggi Snorrason, Reykjavík, Islande

Pour être honnête, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Bien que je me sois familiarisé avec les documents d’information et que j’aie regardé des photos, le programmathon et la conférence m’ont pris par surprise. J’avais déjà assisté à de grandes conférences et je m’étais préparé d’une manière ou d’une autre au sein d’un groupe de jeunes. Je pense sans aucun doute que le travail que nous avons effectué lors du programmathon a été de loin le plus constructif que j’ai fait, et l’ampleur de la conférence elle-même était quelque chose que les images ne pouvaient pas complètement transmettre à l’avance.

Ce qui m’a le plus marqué dans cette aventure, c’est que j’ai enfin rencontré des jeunes venant de régions du Nord où je n’avais jamais rencontré de gens auparavant. Je pensais à tort que tous les habitants du Nord vivaient exactement les mêmes expériences que nous, les Islandais. Prenons l’exemple du Groenland, qui est aujourd’hui une colonie du Danemark, tout comme l’Islande l’était au siècle dernier. Je pensais donc que leurs relations avec leurs colonisateurs étaient les mêmes que les nôtres. Mais le fait que nous n’ayons pas de peuples autochtones en Islande et que nous ayons des caractéristiques plus européennes, alors que la grande majorité de la population du Groenland est autochtone, a entraîné des défis complètement différents pour les Groenlandais. Le fait d’avoir un aperçu des expériences vécues par les habitants d’autres régions de l’Arctique a mis en lumière les privilèges dont jouissent les Islandais, qui ne sont pas soumis à la violence due au racisme.

Mais par la même occasion, on a pu entendre que de nombreux défis auxquels sont confrontés les jeunes de l’Arctique étaient très similaires, et ce sentiment fort et commun nous a fait graviter vers le Nord en raison de la culture, des liens, de la nature et des opportunités, en dépit de conditions météorologiques très difficiles. Nous avons trouvé les mêmes causes pour des problèmes tels que la migration des jeunes vers le sud, et nous avons également été en mesure de trouver des solutions qui fonctionnent dans la plupart de nos communautés.

Les recommandations de politiques

Après deux jours intenses, les participants au programmathon ont produit un ensemble concis de recommandations politiques pratiques. La déclaration d’ouverture du document souligne avec force ce que l’Arctique représente pour les participants et leurs communautés :

Notre avenir dépend de la capacité des jeunes de toute la région à assumer des rôles de leadership. La prochaine génération doit guider le développement de l’Arctique de manière durable, en respectant et en honorant les valeurs naturelles et culturelles en place, tout en créant des opportunités et en contribuant à résoudre les plus grands défis auxquels sont confrontées nos sociétés et le monde en général. Nous croyons que la diversité et l’inclusion sont les pierres angulaires du maintien et du recrutement de la prochaine génération de dirigeants dans l’Arctique.

Nous vivons dans l’Arctique en raison de nos moyens de subsistance traditionnels et professionnels et de notre culture. Nous voulons vivre dans des régions où nous pouvons pratiquer et être immergés dans notre culture et la partager avec d’autres. Nous nous sentons liés à la communauté, à la famille et à nos ancêtres. Nous éprouvons d’immenses émotions à l’égard du Nord, un lieu où nous nous sentons visibles et qui fait partie intégrante de notre identité. Nous sommes fiers d’être des habitants du Nord et nous ressentons un sentiment de responsabilité à l’égard du Nord qui est enraciné dans la poursuite de la pratique et du partage des cultures arctiques et autochtones. C’est dans l’Arctique que nous sommes motivés pour changer les choses et que nous avons l’impression de pouvoir nous développer. C’est notre foyer où nous voulons vivre, créer et exister.

L’Arctique est confronté à la colonisation, à l’oppression de la langue et de la culture, à l’exploitation des ressources naturelles et au dépeuplement. Ces problèmes sont en grande partie le résultat de décisions prises en dehors de l’Arctique, sans notre participation ni notre consentement. Cela doit changer et nous, les jeunes leaders et les peuples autochtones de l’Arctique, devons nous approprier notre propre avenir. Nous créerons une région attrayante pour tous, avec une abondance d’opportunités et les éléments fondamentaux pour vivre une vie agréable et enrichissante. (Participants au programmathon sur les politiques de l’Arctique, 2023)

Les recommandations de politiques qui suivent la déclaration d’ouverture se concentrent sur l’autodétermination des leaders de l’Arctique.

Sous le thème de la culture et de la communauté, les participants soulignent la nécessité de reconnaître les activités culturelles comme des moyens de subsistance respectables et de créer les conditions permettant aux jeunes de faire carrière dans les pratiques culturelles ou les savoirs traditionnels. Ils formulent des recommandations concernant les possibilités d’emploi avec des plans de succession et l’adoption d’une optique arctique, valorisant l’expertise locale et les détenteurs de connaissances, lorsqu’il s’agit de titres de compétences. Ils formulent des recommandations visant à promouvoir la diversité et l’inclusion afin de créer un sentiment de sécurité et d’appartenance, en faisant référence à la diversité sexuelle et de genre.

En ce qui concerne le thème du développement durable, les participants recommandent des principes essentiels pour le développement dans l’Arctique afin de permettre une prise de décision transparente, ainsi que l’appropriation locale, la participation des jeunes et des autochtones. D’autres recommandations soulignent les possibilités et le potentiel de la recherche et du développement dans l’Arctique, ainsi que des activités touristiques à la fois sécuritaires et accueillantes.

Le dernier thème, le bien-être holistique, aborde les lacunes dans les réponses au changement climatique et la manière dont les services de santé et d’éducation sont dispensés dans l’Arctique. Le regroupement de ces trois sous-thèmes sous la bannière du bien-être démontre que ces enjeux interconnectés exigent tous des réponses holistiques et coopératives. D’autres principes relatifs à la prestation de ces services incluent entre autres des approches déterminées par la communauté, adaptées à la culture et financées de manière durable.

Les recommandations de politiques sur la scène internationale

À la suite du programmathon sur les politiques, les participants Kirsten Tanche et Brynjar Andersen Saus ont partagé les recommandations de politiques du groupe lors d’un panel animé par Jeremy Etuangat Ellsworth (ancien participant au programmathon, coordinateur à l’environnement et à la recherche au Conseil circumpolaire inuit du Canada) lors de l’Assemblée du Cercle arctique. La salle était remplie de dirigeants de l’Arctique, de représentants des médias et des autres participants au programmathon de cette année. Kristen et Brynjar étaient accompagnés dans le panel par Stephen Traynor (vice-président de la politique, de la planification, des communications et du Bureau de gestion des projets nordiques pour l’Agence canadienne de développement économique du Nord) et par Carina Sammeli (mairesse de la municipalité de Luleå en Suède, Forum des maires de l’Arctique), qui ont fait part de leurs commentaires sur les recommandations de politiques formulées dans leurs régions respectives.

Un mois plus tard, les deux participants se sont rendus à Bruxelles pour le Symposium sur l’avenir de l’Arctique afin de présenter un panel (Cultiver les communautés arctiques) organisé par notre partenaire Patti Bruns, du Forum des maires de l’Arctique. Dans le cadre de l’engagement de la Gordon Foundation à promouvoir les recommandations, nous continuons, avec nos partenaires, à rechercher de nouvelles plateformes et de nouveaux publics avec lesquels les partager.

Conclusion

La participation des populations autochtones et des jeunes à la prise de décision dans l’Arctique est essentielle, tout comme les possibilités de participation à des forums internationaux tels que l’Assemblée du Cercle arctique. Le fait de réunir des jeunes de diverses régions pour s’attaquer à des questions interdisciplinaires produit des solutions innovantes et témoigne de l’importance de la coopération dans l’ensemble de l’Arctique. Le programmathon s’est avéré une occasion stimulante pour les leaders émergents d’entrer en contact et d’échanger entre eux, ce qui a été un moment fort pour de nombreux participants.

Nous avons recruté des participants et participantes ayant une expérience variée de la politique et du leadership, en particulier ceux et celles qui n’ont peut-être pas encore pris conscience de leur rôle en matière d’influence sur les politiques. Nous espérons que les participants sont repartis en ayant acquis une meilleure compréhension de l’élaboration des politiques et en étant intéressés à promouvoir des recommandations de politiques dans leurs propres municipalités et communautés. Nous espérons que les recommandations de politiques atteindront un public plus vaste et joueront un rôle pour assurer l’avenir que les participants envisagent pour leurs communautés arctiques.

Article initialement publié le 11 mars 2024 dans The Arctic Circle Journal.