Jocelyn Joe-Strack est une scientifique des Premières Nations Champagne et Aishihik. Au cours du mois de février 2019, elle a entamé une tournée de conférences dans les ambassades canadiennes en Europe afin de partager son point de vue autochtone sur le changement climatique avec des diplomates de haut rang, des universitaires, des jeunes et le public. Elle est boursière de 2012 du Programme de la Bourse nordique Jane Glassco.
Hola –
Le séjour que j’ai passé en Espagne a été bouleversant, empreint d’humilité et riche en enseignements. J’ai fait trois présentations devant des publics différents, chacun apportant son point de vue unique. Alors que je partageais les histoires, les chansons et les aspirations de mon peuple, je pouvais sentir leur intérêt et leur réaction à ma passion.
Cependant, j’ai également ressenti la… précipitation des auditoires. Cela peut sembler un choix de mots peu conventionnel, mais, en tant que scientifique, il me semble que c’est la description parfaite de la réaction dans chaque salle.
La précipitation est un terme de chimie qui désigne une solution liquide, comme l’eau salée, qui devient trop concentrée et dont la forme solide précipite. Au cours de mes exposés, c’est comme si certains membres de mon auditoire se sentaient solides alors que je présentais mes connaissances à partir d’un monde liquide.
Je l’ai particulièrement ressenti lorsque j’ai fait des présentations à l’Universidad Carlos III et à l’Universidad Autonoma de Madrid. Beaucoup de jeunes espagnols appréhendent de poser des questions, surtout en anglais. J’ai été honorée et humble lorsque beaucoup ont posé des questions sur mon message d’espoir à travers la reconnexion avec la nature.
Comment un jeune de la belle ville de Madrid peut-il y parvenir? C’est une question très difficile et je n’étais pas certaine de ce que je pouvais offrir.
Pour ma part, lorsque je fréquentais l’université dans le sud du Canada, je recherchais activement la forêt pour mon bien-être. Sans la nature, je souffrais.
Une partie de ce que j’ai offert aux étudiants était ma compréhension de ce que c’est que d’être nourri et soutenu par la nature. La nature nous aide à être présents. Après cinq jours dans la forêt, je marche sans effort avec un calme confortable. Les personnes avec lesquelles j’ai parlé en Espagne ont rarement, voire jamais, l’occasion de connaître cet état d’esprit. D’après ce que j’ai entendu, ils aimeraient beaucoup pouvoir le faire.
Le fait d’être séparé de la nature rend le défi du changement climatique d’autant plus compliqué. Comment l’humanité peut-elle retrouver l’harmonie sans savoir ce qu’est la paix?
Je suppose que c’est en partie ce que je suis venue explorer. Je suis chercheuse et, en voyageant en Europe, je suis ici pour définir mes questions sur ce qui est important. Pour le peuple de ma Première Nation, après notre traumatisme, notre voyage vers l’autodétermination, ce qui importe est le bien-être de notre peuple. Nous atteignons ce bien-être en récupérant notre langue et notre culture qui nous enracinent dans la terre.
J’ai également consacré du temps à l’histoire des conflits dans de nombreux pays européens. En Espagne, les gens en sont encore à reconnaître les impacts durables de la guerre civile espagnole de 1936-1939 et du leadership autoritaire de Francisco Franco qui en a résulté jusqu’à sa mort en 1975. Sous le régime de Franco, il y a eu des exécutions, des travaux forcés, de l’antiféminisme et de l’oppression politique. C’était une période sombre pour l’Espagne.
Nous avons visité le Museo de Historia de Madrid dans le but d’en apprendre davantage. Il y avait de belles peintures qui commençaient dans les années 1600, lorsque la ville a été désignée pour la première fois comme le centre du pouvoir en Espagne. Cette période a été suivie d’une ère de croissance. Le mot « harmonie » a été utilisé pour décrire une période de loisirs pour les riches dans les années 1700.
Les difficultés de la classe inférieure sont mentionnées, bien que rarement décrites, tout au long du récit de Madrid. Dans les années 1800, les Français, sous Napoléon, sont arrivés. Et il semble qu’ensuite, l’agitation ait perduré. Cela a commencé par la famine, puis par des changements constants de dirigeants et des luttes dans les quartiers pauvres. Le récit de Madrid présenté par le musée se termine rapidement dans les années 1930, juste avant la guerre civile!
Bien sûr, la grande histoire de Madrid et de l’Espagne est beaucoup plus complexe que ce que j’ai pu comprendre après avoir passé quelques jours dans le pays et visité quelques sites. Mais en tant que membre d’une Première Nation dont le peuple a également subi l’oppression et la famine, j’ai de l’empathie et je cherche à comprendre ce que cela a donné pour le peuple aujourd’hui.
En tant que peuple, les Premières Nations du Canada ont déployé de grands efforts pour se réconcilier – non seulement avec le Canada pour les pensionnats et les politiques oppressives, mais aussi dans notre relation avec la terre.
En raison de notre déplacement forcé, nous n’avons pas été en mesure de remplir notre rôle de gardiens inhérents du territoire et de la Terre qui a souffert avec nous. Nous reconnaissons qu’afin de récupérer le rôle de gardiens, nous devons être bien nous-mêmes. Pour nous, c’est ce qui compte – et encore une fois, nous le savons parce que nous faisons de gros efforts pour la guérison et la réconciliation.
Il semble que l’Espagne n’ait pas eu la même opportunité de réconcilier son histoire d’oppression. L’absence de Franco au musée montre même que l’Espagne est encore en train de réconcilier son histoire longue et récente.
Cela m’a vraiment fait apprécier une autre leçon importante que nous, en tant que peuples autochtones, sommes en mesure d’offrir : les avantages de la réconciliation.
Ma nation est à l’avant-garde de la guérison de l’oppression et nous sommes enfin en mesure d’exercer une véritable autodétermination. Nous nous sommes concentrés sur notre guérison en partie parce que notre traumatisme était si récent et si soudain et aussi parce que le bien-être fait partie de notre culture. Pour d’autres cultures et sociétés, même si les traumatismes passés remontent à des siècles et sont peut-être moins soudains, cela ne signifie pas que le chemin de la guérison et de la réconciliation n’est pas nécessaire.
Sans le bien-être, les sociétés ont du mal à se réaligner sur ce qui compte. Elles sont incapables d’écouter véritablement leurs jeunes et de mettre tous leurs efforts dans l’avenir – qui est aujourd’hui de sauvegarder notre planète et de mettre fin aux dommages causés à la Terre.
Mon voyage se poursuit en Suède, en Allemagne et en France! Muchas gracias aux charmants habitants de l’Espagne. Nous avons vraiment apprécié le temps que nous avons passé ici avec votre société chaleureuse, vivante et gracieuse.
Jocelyn Joe-Strack est une scientifique des Premières nations Champagne et Aishihik. Elle est boursière de 2012 du Programme de la Bourse nordique Jane Glassco.
Au cours du mois de février 2019, elle a entamé une tournée de conférences dans les ambassades canadiennes en Europe afin de partager son point de vue autochtone sur le changement climatique avec des diplomates de haut rang, des universitaires, des jeunes et le public. On peut la suivre dans ses voyages sur Twitter @GlasscoFellows ou @jocelynjs ou en s’abonnant à l’infolettre de la Gordon Foundation pour obtenir des mises à jour.
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